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possible de savoir où se trouve un voyageur dont on ne reçoit des nouvelles que de loin en loin, qui va et vient sans but bien déterminé, n’ayant qu’un guide : sa fantaisie, qu’un désir : oublier. Comme si, lorsqu’on s’éloigne, on n’emportait pas tout avec soi : haine, amour, souvenirs, remords !

C’est ainsi que vivait Pierre Olsdorf depuis son départ de Pampeln, depuis qu’il avait acquis la certitude que Véra l’aimait et qu’il était obligé de s’avouer que, lui, il l’adorait avec passion. Ceux-là seuls qui n’ont point aimé disent : loin des yeux, loin du cœur. C’est le contraire qui se produit ; lorsqu’il s’agit d’affections vraies, qui ne sont pas nées seulement d’appétits sensuels que d’autres objets peuvent apaiser ; car, à la douleur de la séparation et à l’amour, se joignent bientôt les inquiétudes et la jalousie. On ne sait plus rien des imperfections de l’être aimé ; on ne se rappelle que ses qualité et, privé des satisfactions de sa présence, on se demande avec terreur s’il ne vous a pas déjà oublié, si on a bien fait, si on a bien dit tout ce qu’il fallait faire et dire pour qu’il se souvînt.

La situation était plus pénible encore pour le prince Olsdorf, puisque aux regrets qu’il éprouvait se joignait son désespoir d’être la cause de tout le mal. Il ne voyait pas d’issue à ce qui était son œuvre propre et se jugeait condamné, ainsi que Véra elle-même, à une douleur éternelle.

En quelque lieu qu’il se réfugiât, le souvenir de sa fille de Soublaïeff le poursuivait. À travers l’espace, il la voyait à Pampeln près de ces enfants qu’il lui avait confiés, et ses dernières paroles : « Pierre Alexandrowitch, vous parlez de bonheur pour moi et vous partez », tintaient toujours à ses oreilles.

Lorsqu’il recevait d’elle, de temps en temps, des lettres adorables de douceur et de résignation, dans lesquelles il n’était question que d’Alexandre et de Tekla, il lui prenait des désirs fous de retourner brusquement en Courlande, pour aller se jeter aux genoux de celle qu’il avait sans droit associée à son malheur.