Page:René de Pont-Jest - Divorcée.djvu/215

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Parfois aussi, incidemment, sans paraître y attacher d’autre importance, Lise remontait vers le passé, pour revenir à cette époque où sa mère était pensionnaire à l’Odéon et la camarade de Dumesnil ; mais, à l’évocation de ces souvenirs lointains, le vieil acteur balbutiait, s’efforçant de se contenir pour n’en pas trop dire, et il ramenait la conversation sur un autre terrain.

C’étaient là maintenant les meilleurs ou plutôt les seuls bons instants de celle qui avait été la princesse Olsdorf, car, lorsque ni Mme Daubrel ni Dumesnil n’étaient là, elle tombait dans une atonie complète, ne s’intéressant à rien, ne lisant même pas. Quand son beau-frère et sa belle-sœur venaient la voir — Barbe, par pudeur — ils ne pouvaient la faire sortir de son mutisme, sauf pour les supplier de ne jamais dire un mot de l’absent, ce qu’ils se hasardaient parfois à faire, un peu par pitié et aussi pour tenter de le défendre. Il était jeune, s’était laissé entraîner et reviendrait. Alors elle pardonnerait. Bien certainement il souffrait, lui aussi ; seul, son manque d’énergie l’empêchait de rentrer en France.

À ces consolations, hypocrites de la part de Mme Frantz, dont le mari était un honnête homme qui blâmait sévèrement la conduite de son frère, — Mme Meyrin, la mère, n’osait jamais, elle, parler de son fils — l’abandonnée ne répondait que par de longs regards attristés, qui disaient mieux que toutes les phrases : Je ne vous crois pas, et s’il revient jamais, ce sera trop tard !

En même temps que la fille de Madeleine s’éteignait ainsi doucement, il se faisait en elle une transformation étrange : elle redevenait coquette, élégante comme autrefois. On eût dit que, trop certaine du peu de jours qu’il lui restait à vivre, elle voulait se venger des privations que lui avaient imposées la jalousie et l’avarice de son mari, dès la seconde année de leur mariage. Elle prenait plaisir à dénouer ses cheveux, restés merveilleusement beaux ; elle ornait ses bras et ses épaules amaigris des bijoux enfermés depuis si longtemps dans leurs écrins ; elle prétextait qu’elle avait froid pour s’envelopper de splendides fourrures, comme aux époques heureuses, et