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La jeune fille espéra un instant que Pierre allait l’inviter à faire route avec lui dans la troïka où il n’y avait de place que pour deux, mais il l’installa dans un grand landau où la nourrice était déjà avec son bébé, et après ne lui avoir adressé que quelques paroles rapides pour s’excuser des fatigues qu’il lui imposait, il donna un ordre au cocher et s’élança dans la voiture légère auprès d’Yvan.

Les bagages allaient suivre dans un omnibus avec les gens venus au-devant de leur maître.

Cette décision nouvelle fut douloureuse pour Véra, qui était à peine calmée, lorsque, trois heures plus tard, elle reconnut la lourde façade de Pampeln, dont le landau fit bientôt crier le sable de la cour d’honneur pour s’arrêter devant le perron.

Automatiquement, toute à ses tristes appréhensions, la fille du paysan mit pied à terre, et ce ne fut pas sans surprise qu’elle sentit sa main dans celle du prince, qui lui disait d’une voix troublée, en la tenant un peu à l’écart, au pied de l’escalier de marbre :

— Pardonnez-moi le silence que j’ai gardé depuis notre départ de Paris ; mais je me le suis promis, nulle explication ne doit avoir lieu entre nous avant que j’aie vu votre père. Je lui ai fait dire de m’attendre à Elva, où je vais le rejoindre. Dans deux heures, je serai de retour. Jusque-là, ayez confiance. Aujourd’hui même, je l’espère, vous aurez cessé de m’en vouloir de ne douterez plus ni de ma reconnaissance, ni de mon affection.

La douce victime ne répondit qu’en attachant ses grands yeux humides sur ceux de Pierre qui, après lui avoir serré les deux mains, bondit dans la troïka, dont on avait changé l’attelage.

Elle le suivit du regard, jusqu’à ce qu’il eût disparu à l’extrémité de la grande avenue, puis elle gravit lentement le perron et traversa la salle d’armes pour gagner la chapelle, où elle s’agenouilla pieusement sur les dalles, en murmurant :

— Si mon père me repousse, que deviendrai-je ? Mon Dieu, prenez pitié de moi !