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reuse se crut tout à coup transportée au bord d’un abîme, le terrible vertige du vide la saisit, la pâleur s’étendit sur son visage, ses yeux se fermèrent. Si le prince ne l’avait pas reçue dans ses bras, elle serait tombée comme une masse sur le parquet.

Les baisers de son ami, tout à la fois épouvanté et ravi, ranimèrent bientôt la fille du fermier ; ses lèvres dirent à ses lèvres de si douces paroles qu’elles la rassurèrent tout à fait, tant elle avait foi en lui ; et le lendemain, à l’heure qu’ils avaient fixée d’un commun accord, elle était prête à partir.

Il était convenu qu’elle se rendrait seule avec Yvan, à sept heures et demie, au chemin de fer du Nord, où Pierre avait fait retenir deux compartiments, et qu’il viendrait, lui, la rejoindre de son côté.

Pendant que le prince Olsdorf préparait ainsi son départ, Lise Barineff prenait toutes les dispositions nécessaires pour hâter la conclusion de son union avec Paul. Sachant que la loi russe l’autorisait à se remarier le lendemain de son divorce, si cela lui convenait, et n’ignorant pas les mauvaises dispositions de la famille Meyrin, elle ne quittait plus son amant, pour ainsi dire, d’abord parce que son amour pour lui s’était accru encore en raison directe des obstacles qu’on lui opposait, ensuite dans la crainte que l’artiste, dont elle connaissait le caractère faible et indécis, ne lui échappât en cédant à la pression que les siens exerçaient sur lui.

Elle n’avait pas caché à l’artiste le serment que Pierre avait fait de le tuer s’il ne devenait pas son mari, et elle n’avait pas non plus manqué de le mettre au courant de l’excellente situation financière que lui faisait son divorce. Non seulement le prince lui rendait sa dot, plus de deux cent mille francs, mais encore il lui abandonnait en toute propriété son hôtel du canal Moïka, qui valait près de trois cent mille francs. Elle pouvait donc compter sur vingt-cinq mille livres de rente au moins. Ainsi que Paul, elle pensait que c’étaient là des motifs qui militeraient un peu en sa faveur auprès des Meyrin, et lorsqu’elle fut informée, en même temps que celui qui