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RENÉ LE CŒUR.
LILI.
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cavés : « Certains d’entre eux vendent leur nom à de vieilles femmes, à d’anciennes demi-mondaines, à des enfants naturels, à des parvenus enrichis. Quelques descendants des croisés se font ainsi les complices répréhensibles de gens qui inspirent confiance à l’aide de couronnes achetées. Et les brevets délivrés jadis par les rois servent parfois aujourd’hui, par suite de trafic, d’étiquette à une douteuse marchandise. Celui qui est venu se plaindre ici, tout à l’heure, eût mieux fait peut-être de garder le silence : le vendeur ne peut plus reprocher à l’acheteur de tacher l’objet acquis. »

L’avocat du prévenu ne manqua point d’expliquer que le titre de vicomte avait donné des goûts de luxe à son client. C’était presque de la faute de Lili si le jeune vaurien assis entre deux gardes municipaux avait volé la demi-mondaine.

Il fut condamné sévèrement. M. de Clères se sentit atteint, lui aussi, par cette condamnation. Il revint chez lui l’oreille basse. Les châtelains connurent toute l’histoire du vicomte cambrioleur. Ils s’écartaient avec dégoût de Lili qui avait vendu son nom.

Ils apprirent qu’une vieille femme entretenait autrefois M. de Clères.

Il ne pouvait plus demeurer dans le pays. Un jour, les passants lurent cet écriteau pendu contre le mur de la maisonnette :

« À vendre. »

Les châtelains disaient :

— Elle est à vendre, comme son propriétaire.

Un voisin acheta la minuscule bicoque, le petit clos, le beau cerisier.

Lili partit, contemplant de loin sa maisonnette, avec cette pensée si amère au pauvre cœur des hommes : « Je ne la verrai plus jamais ! Plus jamais ! »

Et de loin, penché à la portière du wagon de troisième classe qui l’emportait vers de nouvelles contrées, il regardait encore le petit clos et le cerisier aux si bonnes cerises.

M. de Clères ne possédait plus une somme suffisante pour une propriété. Il avait dû vendre la sienne à perte. Il loua une chambre dans un quartier tranquille de Rouen. Il changea de nom, après ce scandale du cambriolage. Il abandonna même ce titre dont il avait été fier toute sa vie : il fut M. Fleuries.

Il continua sa triste existence. Il faisait toujours son marché, sa cuisine. Les voisins de palier apercevaient quelquefois, le matin, M. Fleuries, en robe de chambre, qui sortait des water-closets avec son seau de toilette bien rincé et son petit balai.

fin

chantenay, imp. — paris