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filait seul faire un tour à travers bois, tandis que sa famille se préparait pour la messe.

Il marchait d’un pas robuste d’homme bien portant.

Le soleil filtrait à travers les ramures, faisait étinceler les gouttelettes de rosée sur l’herbe, les fougères, les pâquerettes, les mille fleurettes bleues, jaunes, roses, légères comme des nuées et dressées sur leur petit pied ; et toute la forêt exhalait au matin une odeur de serre, un parfum de mousse humide et de feuilles pourries. Des bêtes s’éveillaient, insectes cornus et mordorés qui titubaient, de plante en plante, moucherons diaprés qui dansaient, comme une poussière, autour des digitales, dans un rayon de lumière.

Et M. Buquet, gorgé de parfums sains de la forêt, et grisé d’été, pressait le pas en faisant des moulinets avec sa canne.

Au détour du sentier, il apercevait une femme solitaire, qui s’en allait doucement, une ombrelle à la main et qui, du blanc de son corsage, éclairait les berceaux ; elle s’en allait, cette femme droite et souple, belle fille, balançant d’admirables hanches de porteuse orientale à la fontaine ; et elle fouillait, çà et là, distraitement, les touffes d’herbes, du bout de son ombrelle.

M. Buquet admirait la figure sérieuse dont il voyait seulement une joue fraîche et pleine, de longs cils, une fossette au coin des lèvres.

Et à la longue, enhardi par la solitude, il commençait la conversation, craignant d’être ridicule à suivre ainsi en silence :

— Je crois, madame, que nous allons faire quelque temps route ensemble. Voulez-vous me permettre de vous accompagner ?

La dame regardait, d’un coup d’œil, la tête puis les souliers de M. Buquet. Et plutôt agacée :

— Comme vous voudrez, monsieur ; encore que je n’aie pas l’honneur de vous connaître.

— M. Buquet, Émile Buquet.