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nants, un peu chauves, avec des lèvres gaies dans leur face déteinte. Les mêmes soucis quotidiens de famille, de bureau, d’argent, leur avaient fait à tous un front de servitude.

Et rien qu’à les voir, on devinait leur existence : l’appartement au cinquième en un quartier pauvre, la femme de ménage, les nombreux enfants, le lit-cage du dernier au milieu de la salle à manger, les économies réalisées sur les chaussures pour acheter des gants, sur les gants pour acheter des chaussures, la Nettine, le filet aux provisions et le devoir conjugal du samedi — pour se reposer le dimanche — dans le lit de poirier acheté chez Dufayel.

La famille Buquet passait chaque année deux mois aux bains de mer, pour marier Jacqueline. Et cela depuis les seize ans de la jeune fille. Car les modestes bourgeois n’ont point la ressource des bals et des thés.

Dès le printemps, on courait les magasins à la recherche de coupons. Jacqueline et sa mère, aidées des jeunes sœurs, ourlaient, cousaient, garnissaient dans le petit appartement encombré de morceaux d’étoffes, de bouts de fil, d’épingles, de fleurs artificielles, de galons et de passementeries, comme un atelier de couturière. Et de ce travail, il résultait toujours des costumes extravagants, des toilettes de bal masqué, des déguisements de baigneuse d’opérette-bouffe qui eussent fait crever de rire sur une plage élégante. Mais dans les petits trous pas chers, ces originalités ne stupéfient personne ; et l’on y assiste sans sourciller à des débarquements de familles carnavalesques, qu’on dirait échappées d’une roulotte en tournée.

Toutes les plages échelonnées du Tréport à Étretat, avaient enduré les demoiselles Buquet, leurs bérets, leurs capotes Miss Hélyett ou leurs écharpes turquoises, leur sourire-réclame et leurs intermèdes de water-polo. Puis la tribu avait définitivement adopté Theuville-aux-Maillots.

Partout ces demoiselles étaient entourées de béjaunes de seize à vingt-cinq ans, bacheliers en rupture de bac-