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— C’est malheureux d’avoir un si beau chien pour le traiter pareillement.

— Et on dit que nous autres on n’a pas de cœur. Mince, alors ! Y a qu’à voir comment les rupins traitent leurs animaux. On viendra, après, crier contre les charretiers. Ah ! misère !

Une grosse dame et trois cuisinières augmentent le rassemblement. La grosse dame porte sur ses bras un affreux roquet. Elle crie :

— C’est honteux de traîner pareillement une pauvre bête.

— Faut pas demander comment qu’y traite les femmes. Y a qu’à voir sa tête, au type. On en trouve aussi bien dans le grand monde. C’est pas parce qu’il a des gants blancs…

— Et l’ cabot, avec son nœud bleu. Y a pas d’erreur, allez, c’est le gigolo qui promène le toutou de madame.

— Faut pas être fier pour faire un métier pareil.

— On leur-zy dit rien, à ceusses-là. Ça serait un pauvre diable de cocher, on y aurait déjà fait un procès-verbal.

Je finis par emporter Kiki à pleins bras. Il infecte, maintenant qu’il s’est roulé dans la saleté. Il est lourd. Il tache ma cravate. Le public me suit.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Un jeune homme qui vient d’étrangler son chien, là, devant nous.

— Et vous n’avez pas pu empêcher ça ?

— Que voulez-vous, ces gens-là sont souvent armés ; mieux vaut ne pas se mêler de leurs affaires. Un mauvais coup est vite attrapé.

— Oh ! croyez-vous ? Il a l’air bien convenable !

— Vous y fiez pas. C’est le type de la petite grue d’en face.

— Joli monde.

Marie-Louise, de sa fenêtre, m’interpelle :

— Pourquoi portes-tu Kiki dans tes bras ? Il est blessé ? Il est mort ? Il est mort, mon pauvre toutou !