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côtés. Si encore elle bavardait ! J’ai aussi l’habitude du bavardage bébête et charmant de mon ordinaire petite camarade de lit. Claire ne dit rien. Elle dort et elle remue. Je voudrais bien qu’il fût neuf heures du matin.

Quelle drôle d’idée j’ai eue de tromper Marie-Louise !

Claire est partie enfin. Nous nous sommes donné rendez-vous « un de ces jours ». Mais nous sentons l’un et l’autre que nous en resterons là.

Et, vers midi, je vais déjeuner chez Marie-Louise. Je lui apporte un gros bouquet de violettes, à titre d’amende honorable.

Chère petite ! Comme j’aime sa bouche mouillée, charnue, fondante, qui vit et palpite entre mes lèvres ! comme j’aime ses questions, bien simples pourtant et bien banales, de gentille compagne qui s’intéresse à mon existence : « Tu as bien dormi ? Qu’as-tu fait, ce matin ? Où irons-nous tantôt ? »

Oui, quelle drôle d’idée j’ai eue de tromper Marie-Louise ! Elle continue à parler :

— Devine le menu du déjeuner ? Il y a des choses exprès pour toi. Je vais te dire, parce que je sais que ça te plait de connaître à l’avance… Du beefsteak « espérance » avec des pommes frites et de la mayonnaise ; pour commencer, des œufs pochés à l’estragon ; et puis, du vieux Graves ; et, au dessert, des petits fours et du vin de Ponte-Algrada, envoyé par le commandant (c’est l’ami de Marie-Louise), qui fait une croisière là-bas, tu as lu, dans les journaux ? Le roi est à bord. Ah ! que je te dise aussi : j’ai des nouvelles de chez nous. Mon plus jeune frère est placé chez le premier charcutier de la ville. Papa est revenu de Terre-Neuve. La pêche a été magnifique, cette année…

Tout cela m’amuse, m’intéresse ; le roi à bord du yacht de notre commandant ; le petit frère placé chez le charcutier. Et je comprends, au sortir des bras de Mlle Claire que je tiens à Marie-Louise par la force de l’habitude : habitude des caresses, des soins, des tournures de phrases, des gestes même.