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lustrés mettent en valeur ses joues mates et rondes, Et ses prunelles, dont la lumière noire demeure immobile dans le blanc laiteux des grands yeux, font songer au regard de la Junon-aux-Yeux-de-Génisse des vers de l’Iliade.

Marie-Louise est, à mon goût, beaucoup mieux bâtie que Mlle Claire. Pourtant, cette dernière ne me déplaît pas. Pourquoi ? Simplement parce qu’elle ne fut point ma maîtresse ; parce que j’ignore ce qu’elle cache sous sa robe.

C’est peut-être ce qui nous attire davantage vers une femme nouvelle, ce mystère de la chair voilée, attendue, imaginée, Quoi de plus coquet, de plus attrayant, de plus agréable qu’un premier déshabillage ? On découvre lentement les nudités rondes. Et l’on éprouve une joie délicieuse à faire choir la jupe, à dénouer les cordons, à ôter cette dernière et fragile enveloppe des dessous, légers comme du papier de soie, emballant le plus joli cadeau qui soit au monde.

Je songeais à tout cela tandis que Mlle Claire servait le thé ; et je suivais de l’œil le mouvement de ses hanches. Elle était aimable vis-à-vis de moi, afin d’ennuyer un peu Marie-Louise ; et moi vis-à-vis d’elle afin d’exciter la jalousie de ma petite amie. Ainsi débutent bien des liaisons. Car on aime rarement pour soi : on aime pour les autres, pour taquiner une maîtresse, pour se venger d’elle, pour exciter l’envie des camarades ; on aime par dépit, par rancune, par vanité ; et l’on se déçoit mutuellement avec d’illusoires promesses, avec de leurrantes caresses,

Mlle Claire va venir chez moi, ce soir, après-dîner.

J’attends un vrai plaisir de cette visite faite à l’insu de Marie-Louise. Dès le matin, à mon réveil, je pense : c’est pour aujourd’hui. Et je cherche à me représenter la grande fille dévêtue au milieu de la pièce. J’ai préparé avec un soin satisfait un petit goûter d’amoureuse — la dînette pour la dame en chemise — disposé une botte de violettes de Parme dans un coquemar de cuivre ancien ; des tiges de lilas en un cornet de verre ; et des bûches au fond de la