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Elle enlevait les clients, dans la salle, les uns après les autres. Ils lui donnaient rendez-vous à la sortie. Ces demoiselles ne faisaient plus, comme on dit, leurs frais. Elles ont quitté le théâtre. Et la direction a dû placarder, en hâte, une affiche sur la porte !

On demande de jeunes et jolies filles.

Quel désastre ! La troupe formée à la hâte, n’est plus homogène, si j’ose m’exprimer ainsi. Telle qui a des cuisses passables porte un petit ventre de propriétaire. Telle autre qui exhibe de beaux bras est perchée sur de maigres pattes de héron. Tous les seins tombent. À croire qu’il y a de mauvaises années pour les seins comme pour les pommes en Normandie. À mon avis, la pièce ne fera pas dix représentations. Il faudrait une grande vedette, une belle artiste. Je veux dire une femme qui aurait un beau corps.

Je devine que l’auteur est de mon avis. Il pressent le désastre. Et tout de même, il coule, de temps en temps, vers moi, un mauvais œil — jettatore ! — pour voir si je ne fais pas la cour à sa femme.

Je n’y songe pas. Elle est douce, timide, gentille. Il l’aime et je trouve très vilain de chercher à voler le bonheur des autres.

La répétition des couturières s’achève dans le désordre. Ces demoiselles défilent d’une façon lamentable. Elles n’ont pas l’habitude.

Je vais assister à la première, avec la curiosité malsaine de l’Anglais qui voulait voir dévorer le dompteur. Je veux voir le public dévorer l’auteur.

Dès le premier acte, les messieurs habitués qui sont des connaisseurs, commencent à blaguer férocement la figuration. Rien ne leur échappe. Ni le petit ventre de propriétaire, ni les pattes de héron, ni les bras qui ressemblent à des spaghetti.

Je m’aventure dans les coulisses. J’y rencontre l’auteur et sa petite femme. Il paraît navré, l’auteur. Je lui dis, désignant la salle du geste :