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tradition qu’il conservait encore ; la révolte contre l’esprit traditionnel, une fois commencée, ne pouvait s’arrêter à mi-chemin.

On pourrait faire ici une objection : n’aurait-il pas été possible que, tout en se séparant de l’organisation catholique, le Protestantisme, par là même qu’il admettait cependant les Livres sacrés, gardât la doctrine traditionnelle qui y est contenue ? C’est l’introduction du « libre examen » qui s’oppose absolument à une telle hypothèse, puisqu’elle permet toutes les fantaisies individuelles ; la conservation de la doctrine suppose d’ailleurs un enseignement traditionnel organisé, par lequel se maintient l’interprétation orthodoxe, et en fait, cet enseignement, dans le monde occidental, s’identifiait au Catholicisme. Sans doute, il peut y avoir, dans d’autres civilisations, des organisations de formes très différentes de celle-là pour remplir la fonction correspondante ; mais c’est de la civilisation occidentale, avec ses conditions particulières, qu’il s’agit ici. On ne peut donc pas faire valoir que, par exemple, il n’existe dans l’Inde aucune institution comparable à la Papauté ; le cas est tout différent, d’abord parce qu’on n’a pas affaire à une tradition de forme religieuse au sens occidental de ce mot, de sorte que les moyens par lesquels elle se conserve et se transmet ne peuvent pas être les mêmes, et ensuite parce que, l’esprit hindou étant tout autre que l’esprit européen, la tradition peut avoir par elle-même, dans le premier cas, une puissance qu’elle ne saurait avoir dans le second sans l’appui d’une organisation beaucoup plus strictement définie dans sa constitution extérieure. Nous avons déjà dit que la tradition occidentale, depuis le Christianisme, devait nécessairement être revêtue d’une forme religieuse ; il serait trop long d’en expliquer ici toutes les raisons, qui ne peuvent être pleinement comprises sans faire appel à des considérations assez complexes ; mais c’est là un état de fait dont on ne peut se refuser à tenir compte[1], et, dès lors, il faut aussi admettre toutes les conséquences qui en résultent en ce qui concerne l’organisation appropriée à une semblable forme traditionnelle.

D’autre part, il est bien certain, comme nous l’indiquions aussi plus haut, que c’est dans le Catholicisme seul que s’est maintenu ce qui subsiste encore, malgré tout, d’esprit traditionnel en Occident ; est-ce à dire que, là du moins, on puisse parler d’une conservation intégrale de la tradition, à l’abri de toute atteinte de l’esprit moderne ? Malheureusement, il ne semble pas qu’il en soit ainsi ; ou, pour parler plus exactement, si le dépôt de la

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