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différents, et montrant partout la même dégénérescence. On pourrait ainsi faire voir que la psychologie telle qu’on l’entend aujourd’hui, c’est-à-dire l’étude des phénomènes mentaux comme tels, est un produit naturel de l’empirisme anglo-saxon et de l’esprit du XVIIIe siècle, et que le point de vue auquel elle correspond était si négligeable pour les anciens que, s’il leur arrivait parfois de l’envisager incidemment, ils n’auraient en tout cas jamais songé à en faire une science spéciale ; tout ce qu’il peut y avoir de valable là-dedans se trouvait, pour eux, transformé et assimilé dans des points de vue supérieurs. Dans un tout autre domaine, on pourrait montrer aussi que les mathématiques modernes ne représentent pour ainsi dire que l’écorce de la mathématique pythagoricienne, son côté purement « exotérique » ; l’idée ancienne des nombres est même devenue absolument inintelligible aux modernes, parce que, là aussi, la partie supérieure de la science, celle qui lui donnait, avec le caractère traditionnel, une valeur proprement intellectuelle, a totalement disparu ; et ce cas est assez comparable à celui de l’astrologie. Mais nous ne pouvons passer en revue toutes les sciences les unes après les autres, ce qui serait plutôt fastidieux ; nous pensons en avoir dit assez pour faire comprendre la nature du changement auquel les sciences modernes doivent leur origine, et qui est tout le contraire d’un « progrès », qui est une véritable régression de l’intelligence ; et nous allons maintenant revenir à des considérations d’ordre général sur le rôle respectif des « sciences traditionnelles » et des sciences modernes, sur la différence profonde qui existe entre la véritable destination des unes et des autres.

Une science quelconque, suivant la conception traditionnelle, a moins son intérêt en elle-même qu’en ce qu’elle est comme un prolongement ou une branche secondaire de la doctrine, dont la partie essentielle est constituée, comme nous l’avons dit, par la métaphysique pure[1]. En effet, si toute science est assurément légitime, pourvu qu’elle n’occupe que la place qui lui convient réellement en raison de sa nature propre, il est cependant facile de comprendre que, pour quiconque possède une connaissance d’ordre supérieur, les connaissances inférieures perdent forcément beaucoup de leur intérêt, et que même elles n’en gardent qu’en fonction, si l’on peut dire, de la connaissance principielle, c’est-à-dire dans la mesure où, d’une part, elles reflètent celle-ci dans tel ou tel domaine contingent, et où, d’autre part, elles sont susceptibles de conduire vers cette même connaissance principielle, qui, dans le cas que nous envisageons, ne

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