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donc s’attendre à ce que les découvertes ou plutôt les inventions mécaniques et industrielles aillent encore en se développant et en se multipliant, de plus en plus vite elles aussi, jusqu’à la fin de l’âge actuel ; et qui sait si, avec les dangers de destruction qu’elles portent en elles-mêmes, elles ne seront pas un des principaux agents de l’ultime catastrophe, si les choses en viennent à un tel point que celle-ci ne puisse être évitée ?

En tout cas, on éprouve très généralement l’impression qu’il n’y a plus, dans l’état actuel, aucune stabilité ; mais, tandis que quelques-uns sentent le danger et essaient de réagir, la plupart de nos contemporains se complaisent dans ce désordre où ils voient comme une image extériorisée de leur propre mentalité. Il y a, en effet, une exacte correspondance entre un monde où tout semble être en pur « devenir », où il n’y a plus aucune place pour l’immuable et le permanent, et l’état d’esprit des hommes qui font consister toute réalité dans ce même « devenir », ce qui implique la négation de la véritable connaissance, aussi bien que de l’objet même de cette connaissance, nous voulons dire des principes transcendants et universels. On peut même aller plus loin : c’est la négation de toute connaissance réelle, dans quelque ordre que ce soit, même dans le relatif, puisque, comme nous l’indiquions plus haut, le relatif est inintelligible et impossible sans l’absolu, le contingent sans le nécessaire, le changement sans l’immuable, la multiplicité sans l’unité ; le « relativisme » enferme une contradiction en lui-même, et, quand on veut tout réduire au changement, on devrait en arriver logiquement à nier l’existence même du changement ; au fond, les arguments fameux de Zénon d’Élée n’avaient pas d’autre sens. Il faut bien dire, en effet, que les théories du genre de celles dont il s’agit ne sont pas exclusivement propres aux temps modernes, car il ne faut rien exagérer ; on peut en trouver quelques exemples dans la philosophie grecque, et le cas d’Héraclite, avec son « écoulement universel », est le plus connu à cet égard ; c’est même ce qui amena les Éléates à combattre ces conceptions, aussi bien que celles des atomistes, par une sorte de réduction à l’absurde. Dans l’Inde même, il s’est rencontré quelque chose de comparable, mais, bien entendu, à un autre point de vue que celui de la philosophie ; certaines écoles bouddhiques, en effet, présentèrent aussi le même caractère, car une de leurs thèses principales était celle de la « dissolubilité de toutes choses »[1]. Seulement, ces théories n’étaient alors que des exceptions, et de telles révoltes contre l’esprit traditionnel, qui ont

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