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race, mais celle de ce qu’on pourrait appeler une prédominance de droit ; et les deux choses ne sont liées que jusqu’à un certain point. Sans doute, la reconnaissance de la supériorité de l’une des deux tendances incitera à la développer le plus possible, de préférence à l’autre ; mais, dans l’application, il n’en est pas moins vrai que la place que tiendront la contemplation et l’action dans l’ensemble de la vie d’un homme ou d’un peuple résultera toujours en grande partie de la nature propre de celui-ci, car il faut en cela tenir compte des possibilités particulières de chacun. Il est manifeste que l’aptitude à la contemplation est plus répandue et plus généralement développée chez les Orientaux ; il n’est probablement aucun pays où elle le soit autant que dans l’Inde, et c’est pourquoi celle-ci peut être considérée comme représentant par excellence ce que nous avons appelé l’esprit oriental. Par contre, il est incontestable que, d’une façon générale, l’aptitude à l’action, ou la tendance qui résulte de cette aptitude, est celle qui prédomine chez les peuples occidentaux, en ce qui concerne la grande majorité des individus, et que, même si cette tendance n’était pas exagérée et déviée comme elle l’est présentement, elle subsisterait néanmoins, de sorte que la contemplation ne pourrait jamais être là que l’affaire d’une élite beaucoup plus restreinte ; c’est pourquoi on dit volontiers dans l’Inde que, si l’Occident revenait à un état normal et possédait une organisation sociale régulière, on y trouverait sans doute beaucoup de Kshatriyas, mais peu de Brâhmanes[1]. Cela suffirait cependant, si l’élite intellectuelle était constituée effectivement et si sa suprématie était reconnue, pour que tout rentre dans l’ordre, car la puissance spirituelle n’est nullement basée sur le nombre, dont la loi est celle de la matière ; et d’ailleurs, qu’on le remarque bien, dans l’antiquité et surtout au moyen âge, la disposition naturelle à l’action, existant chez les Occidentaux, ne les empêchait pourtant pas de reconnaître la supériorité de la contemplation, c’est-à-dire de l’intelligence pure ; pourquoi en est-il autrement à l’époque moderne ? Est-ce parce que les Occidentaux, en développant outre mesure leurs facultés d’action, en sont arrivés à perdre leur intellectualité, qu’ils ont, pour s’en consoler, inventé des théories qui mettent l’action au-dessus de tout et vont même, comme le « pragmatisme », jusqu’à nier qu’il existe quoi que ce soit de valable en dehors d’elle, ou bien est-ce au contraire cette façon de voir qui, ayant prévalu tout d’abord, a amené l’atrophie intellectuelle que nous constatons aujourd’hui ? Dans les deux hypothèses, et aussi dans le cas assez probable

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