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intérêt, et nous entendons rester entièrement étranger à toute polémique, à toute querelle d’école ou de parti, de même que nous refusons absolument de nous laisser appliquer une étiquette occidentale quelconque, car il n’en est aucune qui nous convienne ; que cela plaise ou déplaise à certains, c’est ainsi, et rien ne saurait nous faire changer d’attitude à cet égard.

Nous devons maintenant faire entendre aussi un avertissement à ceux qui, par leur aptitude à une compréhension supérieure, sinon par le degré de connaissance qu’ils ont effectivement atteint, semblent destinés à devenir des éléments de l’élite possible. Il n’est pas douteux que l’esprit moderne, qui est véritablement « diabolique » dans tous les sens de ce mot, s’efforce par tous les moyens d’empêcher que ces éléments, aujourd’hui isolés et dispersés, parviennent à acquérir la cohésion nécessaire pour exercer une action réelle sur la mentalité générale ; c’est donc à ceux qui ont déjà, plus ou moins complètement, pris conscience du but vers lequel doivent tendre leurs efforts, de ne pas s’en laisser détourner par les difficultés, quelles qu’elles soient, qui se dresseront devant eux. Pour ceux qui n’en sont pas encore arrivés au point à partir duquel une direction infaillible ne permet plus de s’écarter de la vraie voie, les déviations les plus graves sont toujours à redouter ; la plus grande prudence est donc nécessaire, et nous dirions même volontiers qu’elle doit être poussée jusqu’à la méfiance, car l’« adversaire », qui jusqu’à ce point n’est pas définitivement vaincu, sait prendre les formes les plus diverses et parfois les plus inattendues. Il arrive que ceux qui croient avoir échappé au « matérialisme » moderne sont repris par des choses qui, tout en paraissant s’y opposer, sont en réalité du même ordre ; et, étant donnée la tournure d’esprit des Occidentaux, il convient, à cet égard, de les mettre plus particulièrement en garde contre l’attrait que peuvent exercer sur eux les « phénomènes » plus ou moins extraordinaires ; c’est de là que proviennent en grande partie toutes les erreurs « néo-spiritualistes », et il est à prévoir que ce danger s’aggravera encore, car les forces obscures qui entretiennent le désordre actuel trouvent là un de leurs plus puissants moyens d’action. Il est même probable que nous ne sommes plus très loin de l’époque à laquelle se rapporte cette prédiction évangélique que nous avons déjà rappelée ailleurs : « Il s’élèvera de faux Christs et de faux prophètes, qui feront de grands prodiges et des choses étonnantes, jusqu’à séduire, s’il était possible, les élus eux-mêmes. » Les « élus », ce sont, comme le mot l’indique, ceux qui font partie de l’« élite » entendue