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tout autre point de vue. L’envahissement occidental, c’est l’envahissement du matérialisme sous toutes ses formes, et ce ne peut être que cela ; tous les déguisements plus ou moins hypocrites, tous les prétextes « moralistes », toutes les déclamations « humanitaires », toutes les habiletés d’une propagande qui sait à l’occasion se faire insinuante pour mieux atteindre son but de destruction, ne peuvent rien contre cette vérité, qui ne saurait être contestée que par des naïfs ou par ceux qui ont un intérêt quelconque à cette œuvre vraiment « satanique », au sens le plus rigoureux du mot[1].

Chose extraordinaire, ce moment où l’Occident envahit tout est celui que certains choisissent pour dénoncer, comme un péril qui les remplit d’épouvante, une prétendue pénétration d’idées orientales dans ce même Occident ; qu’est-ce encore que cette nouvelle aberration ? Malgré notre désir de nous en tenir à des considérations d’ordre général, nous ne pouvons nous dispenser de dire ici au moins quelques mots d’une Défense de l’Occident publiée récemment par M. Henri Massis, et qui est une des manifestations les plus caractéristiques de cet état d’esprit. Ce livre est plein de confusions et même de contradictions, et il montre une fois de plus combien la plupart de ceux qui voudraient réagir contre le désordre moderne sont peu capables de le faire d’une façon vraiment efficace, car ils ne savent même pas très bien ce qu’ils ont à combattre. L’auteur se défend parfois d’avoir voulu s’attaquer au véritable Orient ; et, s’il s’en était tenu effectivement à une critique des fantaisies « pseudo-orientales », c’est-à-dire de ces théories purement occidentales que l’on répand sous des étiquettes trompeuses, et qui ne sont qu’un des nombreux produits du déséquilibre actuel, nous ne pourrions que l’approuver pleinement, d’autant plus que nous avons nous-même signalé, bien avant lui, le danger réel de ces sortes de choses, ainsi que leur inanité au point de vue intellectuel. Mais, malheureusement, il éprouve ensuite le besoin d’attribuer à l’Orient des conceptions qui ne valent guère mieux que celles-là ; pour le faire, il s’appuie sur des citations empruntées à quelques orientalistes plus ou moins « officiels », et où les doctrines orientales sont, ainsi qu’il arrive d’ordinaire, déformées jusqu’à la caricature ; que dirait-il si quelqu’un usait du même procédé à l’égard du Christianisme et prétendait le juger d’après les travaux des « hypercritiques » universitaires ? C’est exactement ce qu’il fait pour les doctrines de l’Inde et de la Chine, avec cette circonstance aggravante que les Occidentaux dont il invoque le témoignage n’ont pas la

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