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verte de cet être qui, où qu’il aille, quoi qu’il fasse ou dise, toujours glisse entre les reproches, les remords, comme un poisson entre deux eaux. Il est le seul qui trouve sa justification en soi. Le seul, Diane. Etais-je digne d’un tel miracle. Tu te rappelles l’an dernier j’ai fait un voyage avec lui. Dans le wagon, les après-midi de pleine chaleur, tandis qu’il dormait, si pur dans son sommeil qu’il n’était pas humain, mais végétal, moi j’avais honte de mes mains chaudes, tristes de poussière. Le matin au réveil, je n’osais ouvrir les yeux, m’approcher de lui, de sa chaleur. Il était la seule créature, la seule réalité terrestre qui me décidât à vivre sans juger ma vie. Lorsque cette vie recommençait j’avais peur de ne plus reconnaître celui qui était sa raison. J’avais peur aussi qu’il ne me reconnût pas, qu’il ne voulût pas me reconnaître. D’autres fois il y avait tant de soufre dans ses yeux que je pensais flamber s’il me regardait plus longtemps. Tu sais, flamber, flamber comme de la paille, d’un regard. Mais Diane peu à peu j’ai eu des remords. Remords de quoi ? Du mal que je te faisais, sans doute. Du mal qu’il me faudrait tôt ou tard te faire. Seul dans ma chambre, si je rêvais aux yeux d’Arthur, c’était pour voir en transparence les tiens qui me reprochaient de ne pas les aimer assez. Une nuit j’ai eu si peur, que je me suis levé, habillé. J’ai couru chez lui. D’abord il a grogné, puis quand il m’a vu crispé d’effroi, il a eu pitié.