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ni moi n’aurions eu le courage de renoncer à nos médiocrités paisibles. Remercions donc MM. nos pères. Le tien de son suicide, le mien de sa folie. Et d’abord, nous avons pu voir leurs épouses, éberluées, chacune à sa façon, par un sort qu’elles jugeaient incongru. Elles n’en revenaient point, non plus que nous d’ailleurs. Nous, Diane, oui toi, moi, avouons notre bonheur d’avoir pu dramatiser. Je n’ai jamais été si content que le jour où je me suis aperçu que mon père n’avait plus sa raison. Toute mon enfance je m’étais si fort ennuyé. Alors, quelle surprise le soir où il s’est mis à injurier ma mère : « Vertu choux Louisa, espèce de grenouille hypocrite, vous m’avez passé la syphilis dans l’oreille gauche. » Ma mère l’a regardé sans comprendre mais lui qui s’était levé sans mot dire, et broyait les poignets de sa femme : « Épouse assassine, putain noire vous m’en rendrez raison. » Je tremblais de peur, mais enfin j’avais la joie de savoir, qu’en réserve, pour me distraire, j’aurais toujours quelque chose à quoi penser.

Plus tard quand le thème « folie paternelle » commençait à perdre de son intérêt, j’ai été sauvé par des cauchemars où les seins des filles chez qui m’avaient mené mes camarades, toutes les sortes de seins, les piteux et les fiers, les ronds et les longs, les bruns robustes et les blancs de papier mâché, se détachaient des poitrines pour me torpiller.