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a dû me décommander, mais il veut que je passe chez lui dans la soirée.

— Tu devais donc dîner avec Bruggle ?

— Oui.

— Tant pis.

— Pourquoi tant pis. Tu es injuste, Diane. Vois comme Bruggle est gentil. Lui-même m’a demandé que j’insiste auprès de toi pour que tu m’accompagnes.

Silence. Pierre écarlate cherche des raisons.

— Tu comprends, il faut absolument que j’aille chez Bruggle dans la soirée. Si je ne couche pas chez lui, où passerai-je la nuit, car tu sais, je suis fâché avec ma mère.

— Je le pensais Pierre.

— Ta mère t’a dit ?

Diane fait « oui » de la tête et regarde Pierre. Sur son visage flottent de touchantes épaves d’enfance. Déjà Diane veut oublier que, durant tout le dîner, elle a dû attribuer ses appréhensions à l’humeur bizarre, au mutisme du jeune garçon. Comme la plus coupable des complaisances, elle se reproche de s’être doucement, lâchement laissée aller à certaines craintes. Ainsi, s’est-elle apitoyée sur son propre sort, tandis que Pierre, encore douloureux des menaces que Mme Dumont-Dufour ne manque jamais de prodiguer, se rongeait en silence. Pierre, pauvre gosse, s’il réussit à échapper à certain enfer dont la folie du colonel et la