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de l’ambassadrice scandinave. La dompteuse, comme il dit, a beau s’y connaître en hommes, elle a enfin trouvé quelqu’un à ne pas domestiquer. Bruggle petit sauvage, et son œil libre. Œil de Diane précis et triste d’une conscience qui le limite.

Ces deux yeux, deux frères ennemis, l’un de l’autre s’approchent. Pierre d’abord a cru à quelque bataille. Déjà ils se touchent mais leurs cils ne se hérissent point et sans qu’il y ait eu la moindre affirmation hostile, Pierre peut voir l’œil de Bruggle en transparence, sous l’œil de Diane. Puis il n’y a plus rien dans la solitude, dans le vide.

Une douce lave noie toute chose et Pierre comprend que la mort c’est le point dans l’espace et le temps où convergent pour se détruire les uns les autres, les uns des autres, tous les regards, ceux des êtres, des choses, des minutes, des lieux, des gestes, des remords, des joies, des espérances, des rages, des cris, des larmes, des rires. Et ne demeure qu’un trou plus blanc dans le blanc, plus noir dans le noir.

Grands yeux si grands ouverts qu’ils semblaient vides, Bruggle n’est jamais si beau que lorsque, perdu dans on ne sait quelle brume, se creusent ses orbites et à tel point qu’il n’est pas croyable que de si mystérieuses cavités puissent trouver place dans un visage humain.

Mais lui, Pierre, ce soir comment aurait-il le courage