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portera jusqu’aux îles du bonheur sans mots. Pierre est maintenant prisonnier, livré à la bonne volonté d’une postière. Des graffitis, en soi inintelligibles, lui valent de reprendre notion plus que jamais aiguë de certaine tristesse qui n’est pas la sienne mais dont il est juste qu’il souffre. Diane qu’il eût voulu noyer au plus profond de l’oubli est remontée à la surface. Or parce qu’il n’a pas le courage de supporter seul la responsabilité trop lourde de son ingratitude, il accuse la mauvaise influence de Bruggle. Tout à la dévotion d’Arthur, acharné à découvrir jusque dans ses silences, son rire parfois trop gros, de nouvelles raisons d’admirer, comment ne reconnaîtrait-il pas enfin son excès d’humilité. Et non seulement de Diane il n’a ni plus ni mieux estimé le bienfait que celui d’une tisane de simples, bue dans une heure d’insomnie pour que descende enfin le sommeil, mais encore il ne s’est jamais opposé aux affirmations, sous entendus et gaffes que la jeune fille combinait à plaisir parce qu’elle les croyait propres à la mettre sur le même plan, sinon à un niveau plus bas, que certain garçon qu’elle aime trop pour accepter qu’il se méprise. Or il se rend compte aujourd’hui que, parallèlement, lui même pour Bruggle, il s’est aux yeux de Bruggle et aussi à ses propres veux diminué et moins sans doute par humilité que pour donner à l’être aimé ce qu’il a cru le plus beau présent : l’estime de soi.