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le chêne ciré de la première table venue arrive à deviner les secrets du temps, Arthur, de ses mains à chaque note plus longues, plus fines, et si longues, si fines qu’il n’était plus même croyable que ces lianes maîtresses d’un clavier, enlacées au rythme mieux qu’un lierre prolongeassent une simple créature humaine, Arthur oubliait tout son passé, tout son présent pour un rêve sans image, sans mot.

C’est un de ces soirs où ces doigts étaient les antennes d’un insecte à percevoir le mystère, c’est un de ces soirs que le découvrit un vague impresario, directeur de dancing qui le fait venir à Paris pour diriger son jazz. Mais cet homme l’exaspère. Et puis M. Arthur a le sens de « son dignité ». Il n’a pas traversé l’Océan pour divertir la nuit, les snobs de l’Ancien et du Nouveau Monde. Dès qu’il a quelques billets de cent francs il reprend son vol, sa liberté, et va nicher dans une petite pension voisine du jardin des Plantes. Dans sa malle, il a un smoking, trois chemises de soie, quelques mauvais complets, un livre de Ruskin, des reproductions des quatrocentistes. Sur sa table, il a mis la photographie d’une négresse qu’il a connue à Chicago et dont il aimait les dents, les yeux enfantins et la voix nostalgique. Cette histoire de négresse, là-bas, en Amérique l’a brouillé avec ses meilleurs camarades d’université. Il pense que la France est le pays idéal, le pays de la liberté puisqu’on y peut avoir dans sa