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vont m’ bouffer les pattes ! » et aux porcs il servait des jattes de son, criant : « Les vaches !… c’ qu’ils sont goulus ! »

Il remplit des râteliers, retourna des litières, prépara des provisions, montrant : « Ça, patience… ça s’ra pour demain. »

Et les étables où il était passé redevenaient peu à peu silencieuses…

Il dormit à peine une heure, mais il était content, et ne se sentait plus fatigué. — Au petit jour, quand on annonça qu’on allait repartir, remarcher encore, toujours, — que de pas, mon Dieu, et que de peines ! — quand les troupes furent prêtes à s’ébranler, Gaspard offrit du lait aux copains, du lait trait de la nuit, qu’on refusa en se moquant : « Un p’tit vin blanc, voui, si tu veux ! » et on l’appelait « c’te vieille nourrice ! » — D’un coup de pied colère il renversa les seaux, mais il continuait d’être content tout de même. Il accabla tout le monde de son mépris :

— Heureusement, c’est pas pour vous, faces moches, que j’ai tiré tout ça.

— Pas pour nous ?

— Non, probabe !… Et j’voudrais voir vos poires, si vous traîniez des pis comme des ballons !

Les maisons qu’on quittait étaient perchées sur une colline. On paraissait, cette fois, filer droit vers l’ennemi, en dégringolant le long d’un