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GASPARD

Le Vin narguait la Bataille, et, généreux, il faisait oublier à ces hommes que la vie n’est qu’une pauvre chose, et que le destin est bien amer.

Après du vin, voilà, qu’ils avaient de la paille : pourquoi se « biler ? » — On les arrêta dans un village évacué, morne et vide ; et ils ne virent point qu’il était dramatique avec ses maisons malheureuses, et comme transies de peur, sans fumées portes ouvertes, où tout marquait la fuite, l’abandon et l’effroi, — jusqu’à des charrettes renversées sur la route, timons en l’air, désespérées. Eux, ils marchaient depuis trente-deux heures. La fatigue leur revenant, ils étaient un peu gris. Le corps mou, le cerveau vague, ils se laissèrent aller pêle-mêle et béatement sur la paille des granges.

Pourtant, Gaspard était trop énervé pour dormir ; il avait des fourmis plein les mollets ; il ne tenait plus en place. Après avoir, en vain, tenté de rester couché, il sortit respirer l’air de la nuit. Ses idées étaient confuses ; il pensait tout à coup à la mort, à son intérieur, à son gosse, à… Il prêta l’oreille. Qu’est-ce qu’il entendait ? Des beuglements prolongés et douloureux. Restait-il donc des bêtes dans ces maisons vidées de leurs habitants ?

Une idée subite lui traversa l’esprit.