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pour atteindre un village éloigné des Allemands, où on cantonnerait la nuit. Il n’y avait donc qu’un dernier effort à obtenir des hommes. On ne se battrait pas avant le lendemain ; on pouvait leur promettre du repos. Seulement… ils marchaient depuis une trentaine d’heures, et il est malaisé de faire comprendre à une troupe qui ne court aucun danger immédiat, qu’on a besoin de son énergie et de son endurance. Il faut trouver un moyen plus persuasif que les discours, et le hasard, bon diable, l’offrit au capitaine Puche, sous la forme d’une barrique de vin qu’un paysan, qui fuyait, emportait parmi des ballots, dans une pauvre charrette faite de deux échelles croisées.

Puche arrêta sa compagnie, laissa passer celles qui suivaient, et il dit à l’homme :

— Combien votre tonneau ?

— Ben, fit l’autre… eh… ça dépend… pourquoi qu’ c’est faire ?… C’t un bon p’tit vin gris du pays… Si j’ l’emporte, c’est point que j’ veux l’ vendre… Qué prix qu’ vous voudriez y mettre ?

Puche reprit :

— Soyez raisonnable… pour des soldats.

— Oh, les soldats… j’ les connais ! On voit qu’ ça, nous, des soldats… Une barrique ed 120 litres, l’ prix… dame, c’est soixante-dix francs…

— Les voici, fit le capitaine.

Et il appela : « Gaspard ! »