Page:René Benjamin - Gaspard, 1915.djvu/81

Cette page a été validée par deux contributeurs.
74
GASPARD

— Prends ça ; c’est du pâté d’ foie d’ la rue d’ la Gaîté, qu’ ma vieille ell’ m’a dit : « Tu l’ boufferas qu’ si t’es blessé. » Seulement, chiale pus, ou gare !

Et il le menaçait de sa large main, qui avait l’air terriblement protectrice.

Mais il fallait filer, suivre les camarades. Il lui fit encore : « Au r’voir, bonhomme, on se r’verra ; j’ te rapporterai un casque à pointe ! » Puis il se mit à courir le long de cette caravane sinistre, répétant à s’égosiller :

— Vous en faites pas, les vieux ! On va vous venger ! On est des mecs ed’ Pantruche !

Et il serrait nerveusement la crosse de son fusil.

On marchait, on marchait. Il n’était plus question de fatigue, tant les hommes étaient excités. Non point qu’ils eussent la langue aussi déliée que Gaspard. Presque tous muets. Mais ils voyaient des choses si nouvelles et si tragiques !

Devant un groupe de maisons qui dominaient la plaine, et d’où l’œil embrassait un large morceau de pays en train de griller sinistrement, trois femmes, une vieille, deux jeunes, sans doute ses filles, les mains crispées, la bouche tremblante, regardaient et pleuraient, avec un air de détresse à crever le cœur. Elles étaient immobiles, sans gestes, et elles balbutiaient sim-