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patates nageaient dans trop de jus. Quoiqu’il ne sentît rien, c’était du bon jus chaud, avec des morceaux de choses nourrissantes, un régal pour toutes ces bouches avides.

Gaspard avait de la joie rien qu’à les regarder.

Mais ce ne fut qu’un court répit. Sitôt lestés, tandis que plusieurs déjà s’endormaient, nez sur la terre, le long de la route, l’ordre arriva de reboucler les sacs : on repartait tout de suite. Alors, ils se précipitèrent sur la marmite dont Gaspard avait dit ; « Ça, c’est l’ café ! » et ils tendaient leurs quarts, se disputant entre eux.

— Servez-vous ! cria Gaspard.

Il rebouclait son sac.

Puis il vint à son tour, et il ne trouva que la marmite vide et renversée.

— Ah, les chameaux ! Ils ont tout bu !

Brusquement, il entra dans une fureur dangereuse. « Quoi, on avait tout chauffé, sans y en laisser… à lui… lui qu’avait fricoté, et pas encore posé ses fesses ! » Moreau essaya de l’apaiser ; un lieutenant s’en mêla ; rien n’y fit. Il déclara qu’il ne se battrait pas, qu’il aimait mieux devenir boche, et qu’il allait se faire « porter pâle. »

On repartit. Il traînait les pieds et il avait des soubresauts de colère.

Temps chaud, pesant ; l’air semblait mort ; rien ne bougeait plus, — quand soudain les gronde-