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GASPARD

— Alignez-vous, grommelaient les sergents.

— La ferme ! répondait Gaspard.

Et sous la pluie fine, le régiment fumait, répandant une odeur de cuirs et de laine mouillée.

Le temps de vider un fond de bidon, de se lancer quelques injures : « Naturellement ! Toi t’as rien, jamais rien, faut toujours qu’on t’ fournisse ! » Et la colonne repartit.

Le capitaine Puche marchait à pied, à côté de sa compagnie, mais tout en marchant, il donnait des conseils pratiques sur la manière d’ouvrir les boites de singe avec un fort couteau : « N’en ouvrir qu’une pour deux ; quand c’est ouvert ça ne se garde pas, etc…, etc… »

— Où c’est qu’on va ? demandaient les hommes.

— Nous nous rapprochons, dit le capitaine, nous sommes soutiens de l’active.

— Alors, on va se battre aujourd’hui ? dit Romarin, les yeux brillants.

— Je ne sais pas, fit le capitaine Puche. En tous cas je répète : vous avez droit à une boîte de singe par homme.

On y avait droit, mais il manquait le temps pour la vider à son aise. Sitôt qu’à un arrêt Gaspard avait réussi à en ouvrir une, un coup de sifflet aigu faisait se redresser les hommes, et il fallait s’emplir le bec en marchant, ce qui assoiffait d’étrange façon.