Page:René Benjamin - Gaspard, 1915.djvu/58

Cette page a été validée par deux contributeurs.

premier soin. L’étrangeté du destin, l’effroyable aventure qu’est l’existence à certaines heures, l’immense point d’interrogation que la guerre cloue devant l’esprit, tout cela regarde des philosophes… non mobilisés. Le livret militaire avec son fascicule rouge, est une défense de s’attarder sur des problèmes sans solution. Le soldat agit : il ne pense pas. Dès qu’il pense, l’ennemi lui saute aux épaules. Le premier acte de la guerre, c’est un éteignoir sur l’imagination. Le capitaine Puche, qui en semblait dénué, était un chef précieux.

Aucun de ses hommes, même Burette, ne s’en aperçut les premiers jours. Gaspard, qui pourtant n’allait pas à la manœuvre, puisqu’il ne quittait plus ses feux, avait, dans son langage de faubourien, défini l’emploi du temps de la compagnie par deux mots méprisants : « Exercices byzantins ! » et il voulait dire à la fois « vieux jeu » et « loufoques ». Puis il expliquait :

— Dans c’ métier-, faut pas essayer d’ comprendre. Ils nous possèdent et nous aut’, on est qu’ des matricules !

— Ah ! faisait Moreau, tu vas fort !

Romarin, le garçon coiffeur de A…, reprenait nerveusement :

— Moi, je suis ici pour me battre et je demande à me battre !