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des soldats, mais les hommes n’aiment pas moins être des soldats qui passent. Les voilà pris dans une foule qui remue. Sont-ils portés ? Donnent-ils de l’élan ? Ils ne savent ; ils ne s’appartiennent pas. Ils ne pensent plus « Je » ; ils sont devenus « Nous », et le cœur se gonfle, comme leur énergie se tend. — Ceux qui n’ont pas servi, qui n’ont pas traversé une ville, sac au dos, ignorent une des plus fortes sensations que l’homme puisse avoir, de n’être dans la machine sociale qu’un tout petit rouage, très dépendant. Mais c’est une servitude qui donne de l’orgueil, car elle exalte en chacun une valeur nationale. Un homme armé, qui marche au pas, se découvre une force et une mission. Il n’agit plus pour son compte ; il devient un symbole ; son uniforme est aux couleurs du pays, et il sent bien que c’est une grande chose qu’un régiment qui part.

Lorsque celui-ci s’ébranla, un soldat sans armes s’approcha de Burette et de Gaspard :

— Au revoir, messieurs… Bonne chance !

C’était M.  Hommage, le gérant d’immeubles à l’endocardite, qui avait obtenu du major de moisir au dépôt. Burette, bonhomme, lui fit au revoir, mais il ne put s’empêcher de dire à Gaspard :

— Te rappelles-tu, aux derniers dix-sept jours ?… Que la guerre éclate, affirmais-tu, les