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GASPARD

Burette vint se mettre à gauche. Gaspard le dévisagea ;

— Toi t’es pas d’ la rue, mais t’es un copain, alors ça va. Et maintenant, à Berlin : donne l’adresse au Colo !

On s’était comptés quatre. Les officiers sifflaient. Le régiment se mit en branle.

Deux mille hommes dans ce petit chef-lieu demi-mort et banal, — il se trouvait tout à coup deux mille hommes, dont la capote portait le même chiffre, l’épaule la même arme, dont le visage posait la même question : « Alors ?… On y va ? » Et ils se répondaient entre eux : « On y va ! », — trois mots qui signifiaient l’élan des uns, et cachaient le serrement de cœur des autres.

Ce qui fait l’étrange beauté d’un régiment qui part, c’est d’abord l’uniforme, cette première discipline qui éclate aux yeux. Mais sous des képis pareils, la pensée elle aussi s’égalise, et il semble à chacun que c’est le pas de la Fatalité qu’il emboîte, dès qu’on commande : « En avant… marche ! » et que les sergents vous comptent : « Un !… Deux !… » Que deviennent alors les amours, les intérêts, les peurs, dans cette mise en route générale, où la cadence du corps emporte les idées ?

Les enfants et les femmes aiment voir passer