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GASPARD

Il est vrai qu’il était aux mains d’un tout petit sous-lieutenant, un prétexte de porte-drapeau, comme ils devraient être tous, pour qu’on ne voie que les trois couleurs avec les franges d’or. Mais pour cela, il faut le déployer, et c’est encore Gaspard qui vint au secours du sous-lieutenant. Tenant ferme la hampe, il protestait furieux : « Ah, l’ chameau ! Sait-il pas qu’ c’est la guerre ?… » Et sa poigne en vint à bout.

Bref, quand on se mit en route, tous les hommes, jusqu’aux Normands les plus ennormandés, se fussent trouvés heureux de marcher à côté de lui. Mais il fut implacable :

— La rue d’ la Gaîté d’abord !

Il disait ça avec orgueil, et il la voyait en la nommant, sa rue de la Gaîté, derrière la gare Montparnasse, avec ses bars, ses music-halls, ses boutiques de mangeaille. C’est là que tout le quartier parle, s’amuse et se nourrit. Plus grouillante que la rue de Belleville, elle sent les frites comme la rue Montorgueil. Le soir, elle s’aveugle de lumières et s’étourdit de phonographes.

Gaspard, marchand d’escargots de la rue de la Gaîté, répéta avec émotion :

— Allons… les mecs ed’ la rue !…

Et c’est Moreau, le machiniste, qui s’avança le premier, avec l’air d’un officier d’ordonnance se rangeant à la droite de son chef.