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— Chez ta bourgeoise !… Et pis grouille-toi !…

Il était déjà populaire. On sentait un meneur et une poigne.

Soulignant chacun de ses actes d’un mot de large bon sens, il était en vingt-quatre heures devenu le conseil et le confident d’une compagnie. Son rôle pratique se doublait d’un effet moral. Aux geignards, il disait :

— Ah, bébé, nous rase pas avec tes boniments ! On t’emmène à la campagne, et on va t’ faire bouffer la cuistance à Gaspard.

Mais il n’aimait pas les parleurs, les encombrants, et les stratèges dans le secret de tout :

— Avale ta langue : ça t’nourrira ! Pis tu causeras si t’ sais causer, quand qu’ t’auras travaillé. On t’ paye un sou par jour, pas pour des prunes. Crève d’abord des Pruscots. Un sou, c’est l’ prix du cent !

Quelqu’un venait se plaindre : J’ai un képi trop petit… » — « Suis-moi voir. » Et il le remettait aux mains du coiffeur : « Ordre du capitaine : tondreras c’ poilu-là qu’a la citrouille trop grosse. »

Au moment de la revue du départ, le cheval du commandant se dressait tout le temps sur ses pattes de derrière. Gaspard vint : il lui parla dans l’oreille : « Pégase… voyons, Pégase !… » La bête, flattée, se calma.

Le drapeau ne voulait pas sortir de sa gaine.