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Il faisait chaud ; c’était loin ; Gaspard, faubourg Saint-Honoré, entra avec tout son monde dans un bar, où étaient assis déjà d’autres soldats. Il se rafraîchit et parla de la guerre. Puis il dit à sa mère et à Bibiche : « Restez là ; j’en ai pour un quart d’heure. » Et il les laissa. Sur ses béquilles, il se lançait à chaque pas comme une balançoire entre deux portants. Il était comique et satisfait.

Il arriva chez Mme  Burette à la fin de l’après-midi, entre chien et loup, à l’heure où les femmes qui sont jolies prennent une grâce plus touchante. Leurs yeux nous semblent plus profonds ; leurs traits ont la douceur des demi-teintes ; et au lieu de penser ; « Voici la nuit qui tombe », tout homme, même marchand d’escargots, se dit confusément : « Comme cette femme a du charme !… »

Mme  Burette était une grande brune : les brunes semblent toujours plus en deuil que les autres. Elle avait une de ces peaux mates qui conviennent aux douleurs contenues, de longs cils comme pour retenir les larmes, et les cheveux abondants, qui cachaient les oreilles et se tordaient en un lourd chignon sur la nuque, lui donnaient un air à la fois las et angoissé.

Elle entra, fit un petit salut, et, les yeux secs, mais d’une voix blanche, elle dit tout de suite :

— Monsieur Gaspard… c’est vous !… Que je suis heureuse !… Comme vous êtes bon !…