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jamais, sans que son cœur se gonflât de haine contre les Boches.

Il profita de son dernier jour de liberté.

Comme il faisait un après-midi de juin, à la fois triomphal et tendre, il dit à sa vieille, à Bibiche et au gosse :

— V’s allez pas rester à moisir dans vot’e cagibi ? Fait bath dehors, amenez-vous avec moi. Quand j’monterai, vous resterez su tes bancs.

Les deux femmes acceptèrent. Il leur semblait que c’était une promenade glorieuse d’accompagner leur mutilé, qui s’en allait, fidèle à ses promesses, raconter aux parents et aux amis des « copains » comment ils étaient tombés.

On se dirigea donc en cortège vers la petite rue Nicole, près de l’Observatoire, où habitait M. Farinet. — On prit le tramway. Une vieille dame tint à payer pour Gaspard, disant :

— Ça portera bonheur à mon fils, là-bas, dans les tranchées.

— Oh ! faut pas vous en faire ! dit Gaspard. L’arrive que c’qu’il arrive.

— Oui, mais quand est-ce que ça finira ! soupira la vieille dame. De là-haut le bon Dieu ne nous voit donc pas !

— L’bon Dieu, dit Gaspard, j’crois qu’il est mort, d’puis l’temps.

— Mort, dit la vieille dame, mais il est étemel !