Page:René Benjamin - Gaspard, 1915.djvu/31

Cette page a été validée par deux contributeurs.

À la réflexion, ce devait être un homme, mais à le regarder simplement, c’était un monstre étrangement farce. Qui aurait cru que ce fût un tueur et qu’il passait sa vie à donner la mort ?… Il était bavard, roublard, paillard. Il savait faire des yeux blancs, rouler sa langue, remuer les oreilles. Gaspard n’était pas là depuis deux minutes qu’éclatant, les coudes sur la table, il répétait :

— L’est pilant, mon vieux, c’ mec-là !

L’autre était habitué au succès. Il chatouilla d’abord la bonne :

— Comment qu’ c’est-il votre nom ? Prudence ? Eh, gentillet ! C’est comme ça d’abord qu’on m’avait appelé. Pendant un an on a cru qu’ j’étais une fille…

Et soudain d’une voix de basse : « J’étais si tendre et si mignon ! »

La bonne riait en devenant rouge. Burette lui-même était heureux. Bonne ou autre, Burette était toujours heureux près d’une femme, et il se frisait la moustache avec satisfaction. Puis, il aimait à se mettre à table. Il regardait la buée du potage, le pain frais, le cidre doux, et il dit : « Allons, mangeons, et ne parlons pas de la guerre. »

— La guerre ? fit le boucher qui s’emplissait la bouche de veau. On verra même pas les Alboches !