Page:René Benjamin - Gaspard, 1915.djvu/307

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Alors, elle éclata. Ses yeux roulaient, sa poitrine battait, et elle se mit à crier :

— Tu vas la voir ? Ben t’iras pas ! C’est moi ta femme et j’t’empêcherai ! Menteur ! Sournois ! Monsieur… vous croiriez pas, monsieur !…

Et elle se mit à raconter la chose au chauffeur. Un homme d’équipe s’en venait, qui écouta : elle recommença pour lui, avec tous les détails.

Et Gaspard… Gaspard la regardait simplement. Cette rage inattendue chez une femme d’ordinaire sans défense, l’avait cloué sur place. Puis, une idée démoniaque lui poussait sous le front, et il dit d’un ton tranquille :

— Ben, t’en as, toi, des besoins d’te faire d’la mousse ! Pourquoi qu’tu chiales comme ça, au lieu d’me dire les choses ?… J’suis pas v’nu prendre el l’train ; j’suis v’nu voir un ami.

— Oh, dit Bibiche, fais pas c’t’air-là maintenant ! Fais pas c’t’air-là !

Alors, il eut un petit rire de gorge en haussant les épaules ; puis, sans rien ajouter, le plus naturel du monde, pas honteux, sifflotant, il se dirigea vers la sortie de la gare.

Bibiche suivit. On croisait des voyageurs. Exprès, elle continuait de crier :

— T’as qu’une jambe, mais ça t’suffit pour aller au vice ! À ton âge, si c’est pas honteux !

Ils remontèrent toute la rue très vite, car il