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sur la molesquine de la banquette, déclarait, les mains aux poches :

— Vous savez… il faut se méfier… n’est-ce pas. Les Allemands sont méconnus… Ce sont des gens très intelligents, n’est-ce pas…

Assis sur le dos, tête renversée, bombant le ventre, il avait l’air de s’étaler complaisamment dans une impartialité supérieure. — On se tut un instant. Personne n’avait remarqué Bibiche. Le bijoutier et le marchand de grains étaient interdits. Le bijoutier avait eu son fils tué en Belgique : il pâlissait d’entendre vanter les Boches. Mais la réplique ne lui venait pas.

Gaspard, sur son seul pied, sauta d’un mètre. Il avait l’air de marcher sus à l’autre, qui, avec une moue pédante, reprenait :

— Ce n’est point parce qu’ils sont nos ennemis. Il ne faut pas être aveugle, n’est-ce pas !… Nous ne leur venons pas à la cheville… Ils vendaient des produits excellents, n’est-ce pas…

Alors, Gaspard en se penchant lui dit dans les yeux :

— Quoi qu’vous êtes pour causer comme ça ?

L’autre se redressa :

— Est-ce à moi que vous parlez ?

— J’ai idée.

— Eh bien, soyez donc poli, n’est-ce pas. Je suis le juge de paix !