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à grain, au sablier désespérant de cette vie nouvelle, stupéfiante, effrayante, où des hommes aux idées vagues, aux corps souffrants, attendaient dans le brouillard, la froidure et la boue, que le Destin décidât de se montrer plus clément. — Sous leur front, il passait confusément des images de chez eux, mais leur chair était gelée, et gourds, dans leurs capotes raidies, ils roulaient des pensées mornes et gauches, ne sachant pas au juste pourquoi ils pâtissaient, maugréant, jurant, gelant, mourant, par discipline, par habitude, comme tout le monde…

Un jour de brume d’hiver, est en soi si mortel, que lorsque la nuit tombe, l’homme s’en effraie à peine. Gaspard mit sur sa tête sa couverture mouillée ; et Mousse, qui tremblait de froid, se serra contre lui. — La tranchée, toute la nuit, remue autant qu’au jour. Les hommes dorment, ronflent et geignent, mais ils grelottent et se cherchent l’un l’autre. Assis ou accroupis, pelotonnés, ramassés, genoux serrés, coudes au corps, comme s’ils voulaient retenir leur tiédeur qui s’en va, ils se pressent contre le voisin, d’une épaule qui mendie : fraternité physique, émouvante et la plus sincère.

Le petit jour qui revient sur ces grelottements, c’est l’heure blafarde, plus sinistre que toute l’ombre des nuits. À cet instant-là, on ne s’étonne