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Et à peine s’étaient-ils dégagés du boyau qu’ils croisèrent une compagnie qui sortait des tranchées.

Ah ! ceux-là, ils étaient plus boueux encore, avec des têtes plus ravagées, d’une peau terreuse, les yeux agrandis et pleins d’un vague effarement. Et ils avaient aussi des pieux pour appuyer leur misère, mais forts pourtant, ils portaient tout un bagage souillé, maculé, déterré. Ils s’en venaient d’un champ aux sillons argileux, où l’on voyait une rangée de croix avec des képis dessus, et on eût pu se dire que c’était la relève des morts, qui s’étaient tout à coup dressés, et qui remontaient de leurs fosses, lugubres et l’œil fatal, avec de la terre plein la barbe.

Gaspard dit : « Cré Bon Dieu ! »

Mousse était trop essoufflé pour rien dire.

Ce sol visqueux et gras, qui les tirait par les pieds, s’enfonçait tout à coup en un vaste entonnoir, où croupissait une eau jaunâtre. Les hommes s’arrêtèrent ; et le sergent commanda : « Allez… emplissez les bidons. »

— Sans blague ? dit Gaspard.

Mais les autres parurent encore plus surpris de son étonnement. Son voisin, qui avait une mine blafarde et brouillée, pleine de poils hérissés, lui dit : « C’est peut-être que m’sieur l’baron boit toujours d’l’eau filtrée ? »