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— Zut, dit Mousse, mon képi dans l’eau.

— Allez-vous avancer, la bleusaille ? fit un poilu derrière.

Avancer ! On piétinait dans une pâte gluante, dont il fallait, à chaque pas, ressortir. Le pied glissait ; la main s’agrippait aux parois : elle aussi s’enfonçait dans la boue. Le fusil tombait de l’épaule : la main boueuse le rattrapait et l’emplâtrait. En moins de cinq minutes, armes et vêtements, l’homme tout entier était empâté, englué, et ces cinquante soldats qui se suivaient à la file avec tant de peine, dans une crevasse de terre inégale et tortueuse, avaient l’air de lutter pour que le champ ne se refermât point sur eux. Des coudes, des pieds, des mains, des reins, de la tête, ils étaient comme des pétrisseurs de boue, enlisés puis se désenlisant, n’acceptant point d’être enterrés, geignant, pestant, se décollant et émergeant, hommes devenus taupes ou vers de terre dans une tombe où, vivants, ils rampaient, se raccrochaient, bourbeux, fangeux, désespérés, mais volontaires.

Le boyau débouchait à la lisière d’un bois tout déchiqueté, où il n’y avait plus que des branches mortes, des troncs ouverts, des moignons d’arbres ; mais c’était un abri suffisant pour que l’on pût se montrer. — Les hommes se hissèrent à la surface.