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— C’est l’bois d’la Tuerie, t’sais ici ; on en sort pas, on y est vite frits.

— Et pis… et pis qu’est ça peut m’foute ! dit Gaspard.

— Allons, assez causé. Par quatre, et en avant, dit le sergent.

Le vent rabattait la pluie dans les yeux. On entendait tonner le canon. Mousse ne disait rien ; il se sentait l’âme gelée. La petite troupe longea un bois tout étouffé de brume, les pieds collant à des paquets de feuilles mortes, puis elle déboucha sur une route plus large, et du brouillard, soudain, surgirent des artilleurs avec leurs chevaux, leurs caissons, leurs canons. — Les chevaux au long poil pataugeaient dans les mares ; l’eau des ornières giclait sous les roues lourdes ; et les hommes, dans leurs grands manteaux de guerre qui pendaient sur la croupe des bêtes, étaient tout éclaboussés de boue, avec des têtes fauves de brutes éreintées. — Pour encrotter vingt fantassins, il suffit d’un canon qui sache s’y prendre. Après le passage de deux batteries, Gaspard et sa bande avaient l’air échappés d’un marais limoneux. Ils criaient aux autres :

— Tas d’abrutis, su vos perchoirs !…

Et les autres passaient, indifférents, raides et figés, ayant l’air tout d’une pièce avec les chevaux et les caissons, silhouettes massives dans