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GASPARD

rien attendre des escargots — (bien mieux il parlait d’en donner, d’en rapporter au capitaine), — il prit un parti héroïque : vendre ce qu’il avait de plus cher… aux deux sens du mot… ses livres… Oui, ses livres qu’il rangeait sous son lit et dont il disait à Mousse : « Ah, c’est bath les bouquins, quand c’est bien raconté ! » Eh bien, pour son gosse, il les tira du coin d’ombre où ils dormaient dans la poussière depuis le 2 août ; il les prit tous, tout le père Dumas, tout le père Hugo, et les autres ; et, ayant entassé poètes et prosateurs dans une voiture à bras, il descendit, traînant sa charge, jusqu’au quai des Grands-Augustins. Il avait le cœur gros, mais il sifflait, se disant toujours : « Moi, j’ veux l’ légitimer… »

De cinquante volumes, il tira huit francs. Il manqua se faire fourrer au poste, tant il injuria le bouquiniste :

— Tête de singe ! Vieille sangsue ! Aie pas peur, on t’ cédera aux Boches en échange ed l’Alsace-Lorraine !

L’autre était un juif hideux, que les injures n’empêchaient pas de compter ni d’éplucher minutieusement sa marchandise. Il resta d’abord muet et calme ; mais Gaspard aperçut soudain, sur un tas de vieux livres, un petit bouquin vert : « Morceaux choisis d’Eschyle, annotés par Gustave