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GASPARD

Pour se consoler, comme en fait ils étaient libres après l’enterrement, Gaspard emmenait l’agrégé chez le bistro. Au bout de quelques semaines, ils connurent tous les cafés de A… Et pourtant A… a autant de cafés que de maisons. Il y en a dix qui guettent les trains en face la gare, vingt autour de l’église pour faire concurrence au curé, et dans les deux rues commerçantes, ils sont alignés comme marchandes au marché, avec l’attrait mystérieux de leurs rideaux de vitrage, qui cachent l’intérieur au passant. Mais l’agrégé qui n’aimait pas boire, se morfondait autant, les coudes sur une table d’estaminet, que les pieds dans la sinistre cour.

Lui si doux, il s’aigrissait. Lui si poli, parlait crûment. Et le dimanche même, quand on ne les tenait plus dans le quartier, quand la grille était ouverte, quand, avec Gaspard, il pouvait se dire « libre », — quelle amertume ! quelle rage ! quelle tristesse !… Où aller ? Où tourner ? Où traîner ses chaussures à clous ? — Qu’elle était morne, vide, lugubre, cette petite cité normande, par un dimanche d’hiver !…

Il y a un château ; c’est la prison ; — une place d’Armes : le vent du Nord la glace ; — une rivière : mais honteuse et sale, elle tourne la ville et coule au dehors.