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GASPARD

place. Les nerfs à vif, il bredouilla ce que pensait le général : « Sales inaptes ! »

Pourtant… la Providence leur réservait un semblant de bonheur. L’homme « d’ordinaire », qui charriait les légumes et la viande, tomba malade. Vite, Gaspard et l’agrégé offrirent leurs services, et le caporal de cuisine accepta.

Alors, l’un en dépit de sa fesse, l’autre en dépit de son entérite, ils se mirent à traîner des voitures à bras toute la matinée. Mousse était curieux dans une voiture à bras. Un peu maigre pour la largeur des brancards, il donnait mal le coup de reins qui faisait démarrer la guimbarde. Il suait : son lorgnon glissait ; il s’arrêtait pour le rattraper, et Gaspard, qui poussait au cul, criait :

— Tu m’ fais d’ la peine… Laisse-moi prendre ça. T’ as l’air d’un lapin qui voudrait traîner un tramway.

Mais l’autre s’entêtait. Il voulait s’esquinter, pour mieux tuer le temps. Le boucher faisait la moue, parce qu’il portait avec précaution des poumons sanguinolents ; la charcutière avait du mépris, parce qu’il s’appliquait pour charger des saucisses. Et il s’apercevait de ces dédains, mais il se disait : « Dans une ou deux semaines, je serai moins malhabile… »

Il oubliait que les joies humaines sont éphémères. Une semaine après… l’homme malade