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GASPARD

Ils profitèrent de ces ordres contradictoires pour s’éclipser une fois de plus. Et… ils se retrouvèrent dans la cour, — la cour au sol gluant, comme imbibé de soupe grasse (car c’était même dans la cour qu’ils mangeaient, se pressant d’avaler pour que l’air froid ne figeât pas trop vite leur rata), — la cour, la triste cour où il fallait tourner autour des arbres pour échapper à l’adjudant, aux sergents, à la corvée de quartier, — la cour, dont ils regardaient tous les bâtiments et édicules, se disant, avec angoisse : « Où nous réfugier ? À la compagnie ? Dupouya y est en chasse. À la cantine ? Bouclée. Les douches ? Pas chaudes. La cuisine ? On nous engueulera. Les cabinets ? On en sort ! L’infirmerie ? On veut nous vacciner dès que nous disons : « C’est pour nous chauffer une seconde. » La lampisterie ? Ah… Gaspard, si nous allions à la lampisterie ?… »

C’est l’agrégé qui était tenté par la lampisterie. Ils s’y rendirent. Il y avait là un être bizarre et puant, qui empestait l’huile, l’essence et le pétrole, mais accueillant, qui riait et dit :

— V’s avez qu’à m’ rafraîchir la gorge, et v’s êtes ici chez vous. Ici ; y a pas d’ potasse ; ça pue d’une odeur qu’ personne y veut venir ; on vit d’ ses rentes et c’est pépère !

— Mais crois-tu que, inaptes, nous ayons le droit…