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GASPARD

toi, après on peut causer : on a pus l’air d’une tourte. »

Mais, tourte, ne fallait-il pas redouter de le devenir, entre les quatre murs de la caserne ?

La vie de ces deux « inaptes » était lugubrement comique.

Rien à faire, parce qu’inaptes. Rien qu’à compter les minutes. L’agrégé Mousse avait une montre au poignet pour les compter.

Grand, mince, cou long, tête haute, képi droit, on apercevait tout de suite sa maigre silhouette, dès qu’on pénétrait dans la cour. Il bâillait, il rasait les murs, et, derrière, Gaspard s’en venait, bâillant aussi, mais la tête basse, avec cet air fouinard de l’homme du peuple qui fait toujours des découvertes par terre : un bouton, un mégot, une pièce de deux sous.

L’hiver était venu : dans une caserne, il vient plus tôt qu’ailleurs ; et les marronniers raides, avec leur hérissement de branches dépouillées, étaient à la fois lamentables et odieux. Il pleuvassait deux jours sur trois ; le vent rabattait la fumée noire des cuisines.

— Quelle vie ! Quelle vie ! disait Mousse.

— Moi, j’ peux pus ! faisait Gaspard.

Et ils demandèrent à parler au lieutenant.

Le lieutenant, en passant la main dans sa barbe, leur dit :