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GASPARD

Culotter des pipes, bâiller, tripoter des rois, des reines et des valets, il fallait à Gaspard un assaisonnement plus pimenté, et, lâchant Moreau qui se complaisait dans cette fainéantise, il dit au professeur :

— Ça t’ plaît, toi, c’t’ existence ? J’ voulais avoir l’ juteux, j’ l’ai eu ; mais j’ m’énerve et ça peut pus durer.

— Bravo ! dit le professeur.

— Dans l’ civil, fit Gaspard, j’ suis d’bout à deux heures ; j’ suis aux-z-Halles à trois ; j’ gagne du pognon, j’ nourris mon gosse. Mais ici, cré bon Dieu, si on est inaptes, qu’ils nous renvoient chez nous !

— Je préférerais, dit le professeur.

Et cette première similitude d’idées les amena à se confier l’un à l’autre.

Ce professeur était un doux, un modeste, un homme réfléchi, — un bourgeois. Gaspard était du peuple, primesautier, un brin de vanité, quelquefois violent. Ils s’aimèrent tout de suite, parce qu’ils ne s’ennuyaient pas ensemble.

Gaspard, qui se sentait une infériorité sociale, raconta d’abord son amitié avec Burette, puis avec Dudognon : c’était pour lui des certificats de ce qu’il valait ; — car il avouait fort bien qu’à l’école… il n’avait su qu’essuyer le tableau noir.

— L’instituteur, il m’ râpait. Mon père, ça