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GASPARD

Lui, il restait.

Il restait pour dresser la liste suivante.

Dieu l’avait doué d’une voix grotesque : on eût dit que sa langue, pressée de nuire, se roulait dans sa bouche. Il prononçait :

— Vous yèdes mobiliyabe !

L’homme, pris au piège, éclatait d’un fou rire où s’écroulait toute sa rancune.

— Riez, reprenait-il, mais ye vous yai à l’œil et vous yèdes mobiliyabe.

Quel triomphe quand il pouvait dire au capitaine :

— Y’ai trente hommes pour le proyain départ !

Et si le capitaine répondait : « Il m’en faut trente-deux », il repartait en chasse, bondissait au bureau, fourrageait les listes, grimpait dans les chambrées, et, tombant au milieu d’une partie de cartes étalées sur la paille :

— Debout, tous debout les mobiliyabes !

En pestant, deux hommes se levaient sur douze. Alors, il empoignait les autres :

— Suiyez-moi : nous allons oir le mayor.

Il les introduisait lui-même, parlait pour eux, disait :

— Ils se foutent du monde : ils youent aux cartes !

Le major, influencé, reprenait :